Text de Scarlett Jesus tiré de son site : Click
Thierry est ALET à Marie Galante...
Thierry ALET est un artiste guadeloupéen qui vit et travaille à New-York, se fantasmerait bien Haïtien et se définit Caribéen.
En mai-juin 2009, il exposait ses dessins cathartiques à la Fondation Clément en Martinique.
D’avril à juillet, quelques unes de ses oeuvres figuraient parallèlement à la galerie JMArts et à l’exposition du Parc de la Villette, à Paris, Kreyol Factory.
En août, le voilà à Saint-Louis de Marie-Galante, en résidence d’artiste « Chez Henri » où le public vient d’être invité les samedi 29 et dimanche 30 à découvrir son travail.
C’est assez dire que la créolité que Thierry ALET revendique est une créolité ouverte, arborescente et rhizomique. Et c’est à Marie-Galante, haut lieu de légendes remontant à la période de l’esclavage, qu’il a choisi, ce samedi 29 août, de mettre en scène de façon théâtrale cette identité créole.
L’artiste dispose d’un mur, recouvert d’une voile blanche de bateau et va, le temps d’un concert de jazz (donné par le groupe bien nommé ALCHIMIK), réaliser une fresque hallucinée qui fait surgir un univers nocturne et fantasmagorique, des plus inquiétants. Des événements terrifiants, comme enfouis au plus profond de la mémoire, émergent et prennent forme, obéissant à une force obscure.
Un pot de peinture noire en mains et revêtu d’une combinaison blanche, Thierry ALET « officie ». Frénétiquement, sa main semble tracer d’elle-même des lettres qui se succèdent sans le moindre espace et sans souci de lisibilité, la peinture s’estompant d’ailleurs progressivement, comme bue par la toile. Juste le temps de lire « I dream…. the same dream… ». Ces graffitis délimitent, au final, un espace structuré par trois colonnes de
« texte ». Et c’est sur ce fond que des formes vont se superposer, comme dans un palimpseste. La démarche s’apparente à une opération magique et l’on ne peut s’empêcher de songer alors à l’allégorie de la caverne, de PLATON, et aux figures projetées sur celle-ci, exprimant l’aspiration à la connaissance. Mais quelle révélation nous réserve cette démarche ?
Elles sont bien curieuses ces figures que Thierry ALET va esquisser alors, avec humour et provocation !
Le triptyque qu’elles forment se compose d’un personnage central encadré de deux animaux maléfiques. Ceux-ci, un crabe et un serpent, maintiennent écartelé un étrange personnage, aux allures de pantin désarticulé. Difficile de ne pas songer à une représentation parodique de la « crucifixion » jouant sur l’inversion. Inversion dans la posture du personnage, suspendu la tête en bas. A son cou, un nom, Tito (s’agirait-il du diminutif de Thierry ?). Mais inversion aussi parce que, bi-sexuel, le personnage est l’incarnation d’éléments opposés : mi-homme (en érection) et mi-femme (aux mamelles de divinité primitive), avec une moitié du corps (mâle) noire / et l’autre moitié (femelle) blanche. Le sang s’écoule en gouttes de ses pieds tandis que d’autres gouttes, de lait, jaillissent de ses mamelles. Ce symbolisme naïf affiche un évident syncrétisme que renforcent les éléments associés à ces animaux : au serpent de droite est attachée une chaîne (d’esclave ?) à laquelle pend une croix ; tandis que, à gauche, à côté du crabe nécrophage et du charmant petit « volant » (ou soucougnan), un panneau indique que la scène représentée se passe « Chez Henri », là-même où Thierry ALET est en train de peindre. Avec cette mise en abyme, la ligne de démarcation entre le réel et l’imaginaire se brouille. De fait, Marie-Galante n’est-elle pas une terre qui, ayant échappé au « désenchantement », nous autorise à entrer de plain-pied dans l’univers de la magie, fut-elle noire ?
Dans cet univers nocturne, la place faite à la couleur est en effet très réduite. Les contours sont soulignés d’un noir profond, tandis que quelques pleins, gris ou blancs, contribuent à mettre en valeur plusieurs points de couleur : des gouttes rouges pour le sang, blanches pour le lait, ainsi que du bleu pour l’unique oeil d’une tête perforée qui semble rire. Quelques touches supplémentaires d’or (les dents, la croix, la médaille « Tito ») évoquent le merveilleux des contes, capables de conjuguer horreur et plaisir. S‘inscrivant dans une démarche cathartique originale, ouvertement surréaliste, la fresque n’est pas sans évoquer certains dessins de DALI (pour son onirisme), de PICASSO (pour l’empreinte d’une sexualité débridée), ou encore de Wifredo LAM (pour son tracé évoquant le vaudou).
Dimanche soir 30 novembre, nous restons dans le monde magique des légendes pour le vernissage de l’exposition inaugurale de la résidence d’artiste de Thierry ALET. L’exposition s’inspire d’une esclave africaine ayant vécu au XVIIème siècle, au royaume de Pamares, au Brésil. Michèle CAZANOVE a raconté son histoire dans un ouvrage, initialement publié sous le titre La Chanson de Dendera. Il vient d’être réédité tout récemment, chez l’Harmattan, sous titre La Geste noire. Les peintures de Thierry ALET ont toujours témoigné d’un lien très particulier avec l’écriture, mais aussi avec la littérature comme en témoignent les séries réalisées sur des poèmes de DAMAS ou ses fresques à partir de textes de SAINT-JOHN PERSE et surtout de CÉSAIRE. Nous y verrions volontiers une forme de dialogue, et un hommage à ses pères en créolité, en quelque sorte. Avec le personnage guerrier de Dendera, emprunté à Michèle CAZANOVE, mère de l’artiste, il s’agirait d’une démarche complexe, permettant de combiner récit des origines et mythologie personnelle, via Dendera, mère symbolique de substitution.
De la geste épique de l’esclave révoltée, l’artiste ne retient qu’un élément : l’infanticide visant à éviter de mettre au monde un enfant appelé à devenir esclave à son tour. Ce motif se décline en une série de douze petits tableaux qui sont autant d’enluminures, sur fond or. Chacun des tableaux associe à un court texte, emprunté au début du roman, un dessin.
Mais l’artiste laisse du jeu entre ces deux éléments, montrant par exemple l’enfant sur un drap rouge alors que le texte en vis-à-vis parle de « linge blanc ». Le résultat relève finalement davantage du poétique que du narratif ou de l’illustratif. Parallèlement, nous retrouvons les mêmes symboles et obsessions que dans la fresque : la croix, les chaînes, l’oeil chamanique de la voyance, les cordons qui en s’enroulant forment des noeuds, et ce petit corps de pantin, désarticulé. Ecartelé, mutilé ou perforé, l’enfant devient la proie d’une mère surdimensionnée et virile, qu’il soit lové dans son ventre, qu’il lui demeure attaché par le cordon ombilical ou qu’il soit la victime de mutilations. L’artiste inverse le geste emblématique de révolte de Dendera, le transformant en un rituel de magie noire, celui du sacrifice d’enfant. Et, à l’issue d’un parcours initiatique en douze étapes, véritable calvaire, c’est bien sur le destin de cet enfant mort-né que, par un curieux renversement, il élève au rang de martyre. La soirée se poursuivra avec le concert du bluesman camerounais Roland TCHAKOUNTÉ.
Entre la fresque imposante de la veille, associant l’univers magico-religieux d’Haïti aux graffiteurs newyorkais, et les miniatures secrètes inspirées d’une héroïne brésilienne, Marie-Galante sert de « plaque tournante ». Entendons par là que Thierry ALET est capable, à l’égal de Victor HUGO faisant parler la « bouche d’ombre » en tournant les tables, de créer des « résonnances » entre des lieux, des formes d’arts et des mythologies qu’il déconstruit et reconstruit, librement, insolemment. Un geste noir, assurément.
Scarlett JESUS,8 septembre 2009
Scarlett Jesus
Critique d'Art